Gueule de truie, Justine Niogret

« L’enfant se hait d’avoir peur, et il se méprise de le comprendre. Savoir, c’est le travail des Pères. Parce que réfléchir, tenir palabre en soi-même, c’est échanger des pensées, et qu’il n’y a personne avec qui le faire dans l’intérieur de sa tête, sauf le Démon, qui y vit tapi comme une bête. Parler avec le Démon, seuls les Pères sont assez puissants et sages pour le faire. L’enfant n’a pas envie de s’y risquer. Il sait déjà qu’il ne survivrait pas à la langue du diable ; il se perdrait sûrement. Il n’est pas un Père, il ne le sera jamais. On lui a dit. On ne l’éduque pas dans ce sens. Il suit l’enseignement, d’où les armes, les questions et la loi chaque matin ; et s’il réussit, il sera une Cavale. Les Cavales sont les mains de l’Église, et elles n’ont pas peur, parce que la main ne redoute pas de plonger dans le feu si elle doit en retirer un objet précieux pour l’âme. La main n’a pas peur de saigner si le corps doit survivre. »

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Pourquoi ce livre ?

Gueule de truie est le troisième roman de Justine Niogret.  Chien du heaume, son premier ouvrage (présenté comme de la fantasy mais n’ayant pratiquement aucun des éléments constitutifs du genre) se déroule dans un Moyen-âge violent et âpre. La langue moyenâgeuse utilisée par l’auteure et le personnage féminin en quête de son identité m’avaient notamment fait forte impression. Après une suite, Mordre le bouclier, Justine Niogret a sorti Gueule de truie, au sujet radicalement différent de ses deux prédécesseurs. Comment allait-elle s’en sortir après deux excellents écrits marqué à la fois par la thématique et l’écriture ? Pour y répondre, je me suis plongé avec impatience  dans sa lecture.

Résumé

Il s’appelle Gueule de truie.
L’enfant est devenu Gueule de truie lors de sa seconde naissance, lorsqu’il est devenu Cavale. Aux ordres des Pères, il a pour mission de détruire les dernières traces de vie restantes afin d’exterminer l’humanité. Car l’Apocalypse a eu lieu, emportant le monde du passé et ne laissant qu’un monde pourrissant et des survivants à la morale rongée. Dans cet univers glauque au quotidien violent, Gueule de truie rencontre un jour la fille. Quasi mutique, emportant un boîte en métal mystérieuse, elle semble avoir une quête, un but. Il va décider de lier son destin à cette fille et de l’aider à atteindre son objectif.

Avis

C’est donc un roman post apocalyptique auquel nous avons à faire. Nous ne connaissons ni le lieu ni l’époque, si ce n’est que le drame qui a changé la face du monde s’est produit il y a des dizaines d’années. Certains termes nous rappellent ce moment révolu. En effet, les personnages ont digéré des mots ou expressions datant d’avant l’apocalypse. Le Flache, le papépeint ou les jingoules en sont quelques exemples. Dans ce monde détruit et malade, nous faisons la connaissance au tout début du livre d’un enfant, « l’enfant », soumis à un conditionnement intense de la part de l’Église. Afin de devenir une arme au service des Pères, il est emmené à ne plus penser, à refouler toute émotion en vue de sa mission divine. Avec le masque qui lui a été donné lors de son adoubement, de son passage à l’âge adulte, lui vient également le nom de Gueule de truie. A la tête des Troupes, il extermine les humains regroupés dans les caves, les camps en forêt ou les immeubles à l’abandon avec distance et professionnalisme. Cette noirceur extrême du propos est parfaitement rendue par l’auteure. Le texte est écrit à la première personne. Nous avons donc le point de vue de Gueule de truie. Nous arrivons à comprendre son cheminement intérieur, fait d’obéissance et d’auto persuasion.
Par la suite, nous suivons également « la fille ». Solitaire, elle nous montre le monde tel qu’il peut être perçu par les survivants. Nous voyons l’histoire alternativement à travers la vision de Gueule de truie et de la fille. La boîte que transporte cette dernière semble être la réponse. Mais la réponse à quoi ?

Gueule de truie est un roman court, 254 pages. La première partie, concernant l’enfance de Gueule de truie est à mon avis extrêmement réjouissante. Elle nous donne à lire un texte nerveux, une introduction à l’univers de l’ouvrage réussie avec des thématiques proposées (religion, endoctrinement, violence) cohérentes. La suite est malheureusement plus laborieuse à la lecture.

Les personnages sont bien posés et sans avoir de sympathie particulière pour Gueule de truie, on se met à comprendre pourquoi et comment il en est venu à devenir le tueur impitoyable présenté. L’introspection constante que l’on peut lire nous montre un homme tiraillé entre sa bestialité et la découverte de sa propre humanité.
La religion est d’emblée le point central de l’œuvre. Mais elle s’estompe jusqu’à ne plus être qu’un lointain élément du récit et à même disparaître au fil de l’histoire. Au fur et à mesure de leur voyage, tout s’efface et il ne reste que les deux personnages et leur but. La quatrième de couverture évoque La route de McCarthy. C’est une comparaison hasardeuse. Hormis le côté post apocalyptique, les représentations et la façon de présenter le récit divergent totalement. Vers la moitié du roman, Gueule de truie se charge de nombreux symboles, d’un onirisme poussé à l’extrême. Dans un sens, il m’a fait penser à la dernière saison de la série Hannibal, trop obscure et ésotérique à mon goût.

En amateur de romans post apocalyptiques (McCarthy, Wyndham, Matheson, Ballard,…) et de romans noirs et sordides (Piccirilli ou Di Rollo par exemple), je suis resté sur ma faim. Si les premières 50 pages ont su titiller ma curiosité, une bonne partie du reste de l’ouvrage m’a laissé de marbre, hermétique au discours de l’auteure.

Gueule de truie, Justine Niogret. Editions Critic (254 pages).

 

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